Jean-Luc Burger - La place de la femme dans l'art

La Vierge noire - Geneviève Iris Lahens

 

Les femmes sont omniprésentes dans l'histoire de l'art. Les femmes artistes ont su surmonter les obstacles pour imposer leur nom dans l'histoire de l'Art. Il est temps de rappeler que « Le génie […] n'a pas de sexe » 

(George Sand) !

« Femme artiste, artiste femme ou artiste tout court ?  Pourquoi séparer l'histoire des artistes femmes de l'histoire des artistes en général ? »  Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici.                                                            

 

Quelle que soit la discipline, jeune ou ancestrale, les noms des femmes restent cruellement invisibles. L'Histoire à l'habitude de se dispenser des femmes, l'histoire de l'art en fait tout autant. La femme est-elle exclue des arts plastiques ? Des créatrices existantes. Elles sont encore peu nombreuses à être connues.

 

Maternelle, mystique, pécheresse… la représentation des femmes en art se caractérise par l'ambivalence. Peu représentées dans les livres d'histoire, les femmes ont toujours occupé des places primordiales dans les structures de pouvoir de leurs pays et dans les luttes pour l'émancipation de leurs peuples. Panafricanistes, féministes ou anticolonialistes, reines ou héroïnes, elles sont nombreuses à défier les clichés encore à l'œuvre sur la « femme africaine ».

 

Dans les arts, elles ont une place reconnue en littérature et dans les arts du spectacle. Musiciennes, chanteuses, danseuses, les griottes ont un rôle essentiel qui leur a probablement donné accès à la réalisation cinématographique, à la radio et la télévision.

Quand on pense histoire de l’art, les premiers noms qui nous viennent en tête sont probablement : Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Van Gogh, Rembrandt, Cézanne, Matisse, Renoir, Monet, Picasso, Dalí, Klimt…et encore bien d’autres noms, tous masculins. Il devient alors presque difficile de mentionner plus de deux artistes féminines, quand on peut à l’inverse mentionner leurs homologues masculins par dizaines. Sonia Delaunay a attendu un demi-siècle pour sortir de l'ombre de son époux Robert. Louise Bourgeois avait 96 ans lorsque le Centre Pompidou lui a consacré sa première rétrospective en 2008.

 

Les artistes féminines ont toujours existé, mais elles n'étaient pas spécialement connues ou ne vivaient pas de leurs œuvres. À l’époque, cela pouvait être mal vu qu’une femme s’attelle à des activités artistiques réservées aux hommes. Cependant, une étude a prouvé que la majorité des artistes paléolithiques étaient des femmes. En effet, les peintures rupestres étaient toujours accompagnées d’une empreinte de main en guise de signature. C’est grâce à ces dernières que les chercheurs ont pu confirmer qu’elles appartenaient à des femmes.

 

La femme dans l’Antiquité à nos jours

S’il est un thème omniprésent dans la peinture occidentale, c’est bien celui du corps féminin. Fatales ou discrètes, épouses ou maîtresses, héroïnes ou mères de famille, paysannes, ouvrières ou châtelaines, elles ont toujours focalisé le regard des artistes.

Les femmes sont omniprésentes dans l'histoire de l'art occidental. Généralement dans des attitudes stéréotypées, elles endossent une multitude de rôles en étant souvent... dénudées. Un sein (voire deux) hors d'un corsage, une paire de fesses bien rondes, une cambrure improbable... On peut dire que les hommes se sont fait plaisir !

 

La première preuve incontestable d'une activité artistique féminine est une fresque pompéienne représentant une femme s'adonnant à la peinture. C'était aussi certainement l'occupation favorite de cette gallo-romaine dont le tombeau du IIe siècle, retrouvé à Saint-Médard-des-Prés, près de Fontenay-le-Comte (Vendée), contenait encore plusieurs vases, manches de pinceau, cuillers de bronze ainsi qu'une boîte de couleurs. Même si elles n'ont pas été sauvées de l'oubli par Pline, les femmes artistes étaient donc bien présentes dans l'Antiquité.

 

Dans l’Egypte Antique, la femme a une place importante, considérée comme la complémentarité de l’homme.

 

           

 

Elles sont souvent représentées en activité et prennent des figures de déesses. La femme et son image évoquent souvent la fertilité.

La femme égyptienne est l'égale de l'homme au regard de la loi (contrairement aux femmes gréco-romaines). C'est ainsi qu'elle peut gérer son propre patrimoine ou même se trouver à la tête d'une « entreprise » (comme la dame Nénofèr au Nouvel Empire) ; elle peut aussi être médecin comme la dame Pésèshèt à la IV dynastie. Elle peut divorcer, intenter un procès pour récupérer les biens du ménage et gagner ce procès, ce qui ne l'empêche pas de se remarier, ainsi que le montrent les papyrus araméens d’Eléphantine.

 

Dès l’Antiquité occidentale, certains textes mentionnent déjà la présence de femmes artistes qui s’attelaient à la production de nombreux objets artistiques, mais également à la peinture, la sculpture, la gravure ou encore l’architecture. Bien qu’aucune œuvre réalisée par des femmes ne nous soit parvenues, certains textes anciens mentionnent des femmes peintres et un vase peint à figure rouge datant de -460/450 montrant des femmes en train de peindre des poteries aux côtés d’hommes a été retrouvé.

En Grèce, la Vénus de Milo est une célèbre sculpture de la fin de l’époque hellénistique (vers 130-100 av. J.-C.) qui pourrait représenter la déesse Aphrodite (Vénus dans la mythologie romaine). Elle fait plus de deux mètres de hauteur pour montrer son importance aux yeux des Grecs. Le haut du corps est dénudé ; le bas est revêtu d’un vêtement de la Grèce Antique, roulé autour des hanches.

 

 

                        La Vénus de Milo

 

 

 

Dans l’art préhistorique, la femme est toute en rondeurs ; son ventre, ses cuisses et ses seins sont magnifiés, presque surdimensionnés, car elle incarne la vie et la fécondité.

Changement de décor dans la Grèce Antique, où l’on préfère les corps naturels, peu maquillés et très athlétiques. Le modèle à suivre est plutôt masculin : l’homme est d’ailleurs souvent représenté nu, ce qui n’est quasiment jamais le cas de la femme.

 

 

           La représentation de la femme dans l’art Byzantin

 

Dans l’art byzantin, la seule femme capable de sortir de son état et de vaincre la malédiction d’Ève était, bien évidemment, la Vierge. Honorée par son rôle de « Théotokos », comme la Mère de Dieu, elle occupa une position sublime parmi les femmes, sans souillure aucune, et dotée de toutes les qualités maternelles qui concernaient tellement Anne Comnène et Michel Psellos dans leurs écrits[1].

 

Dans la doctrine chrétienne, la seule femme épouse et amante est Ève, figure presque exclusivement négative. Le rôle de Mère, lui, est dévolu à Marie. De fait, les dogmes chrétiens s’accommodent mal d’une figure féminine sexuée. Marie-Madeleine est la femme la plus citée des Évangiles. La tradition l’assimile à un autre personnage de l’Évangile de Luc, une pécheresse repentie qui aurait été une prostituée. Elle va devenir la figure phare de l’Éternel féminin dans l’art chrétien, représentant tout ce que la Mère de Dieu n’est pas. Sa représentation dans les arts montre l’ambivalence du concept de beauté : si le désir est mis à distance, le sentiment esthétique n’est pas étranger au sacré.

 

Au Moyen-Âge, c’est l’effervescence de la société pour le christianisme qui permet à la femme d’acquérir la reconnaissance du statut de « personne ». En effet, il est inscrit dans la Bible[2], que « Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme ». C’est cette reconnaissance de pouvoirs spirituels accordés aux femmes qui explique le nombre de femmes artistes au Moyen-Âge, et notamment d’abbesses, qui possédaient le droit de créer, mais toujours en lien avec le sacré. Ainsi, les femmes ont pu œuvrer aux côtés d’hommes dans des domaines artistiques comme l’enluminure, la broderie ou encore les lettrines.

L'art féminin au Moyen Âge n'est encore que de l'artisanat, notamment dans les couvents. Même si un ouvrage du XVe siècle consacré aux femmes célèbres évoque quelques-unes de ces pionnières, ce n'est qu'au XVIe siècle que certaines parviennent à se faire une petite place en jouant des coudes parmi les membres de leur famille : il fallait en effet faire partie du sérail pour pouvoir prétendre à une formation, généralement donnée par le père.

 

La Renaissance impose un nouvel idéal de beauté puisque la femme est pulpeuse et sensuelle, avec un teint très pâle et de longs cheveux blond vénitien, comme en témoignent certains chefs-d’œuvre de Botticelli par exemple. Les femmes des tableaux de Raphaël et de Botticelli se tiennent dans des postures peu naturelles, qui rappellent les statues grecques antiques : par exemple la Vénus de Botticelli, blanche comme l’ivoire, sans le moindre poil ni bourrelet, est le modèle parfait de la beauté de marbre. Son cou est trop long, ses épaules tombantes… La vision de la femme ne tient pas compte de l’anatomie réelle de cette dernière. Une divinité plus qu’une femme, au corps entièrement idéalisé. Les artistes de l’époque transforment la réalité pour mieux se rapprocher de leur conception de l’idéal féminin.

 

Éternelle obsession des peintres, le nu incarne à la fois la tradition, la rébellion ou l’audace, selon qu’il est traité par Picasso, Manet, Botticelli ou Modigliani. Olympia de Manet fit scandale lors de sa première exposition, au Salon de 1865. Bien qu’inspirée d’œuvres reconnues (la Vénus d'Urbin du Titien, la Maja desnuda de Goya et l'Odalisque à l'esclave d’Ingres), elle fut considérée comme une provocation : la femme peinte en premier plan, nue dans une position lascive et le regard planté dans les yeux du spectateur, fut en effet interprétée comme représentant une prostituée de luxe, aux antipodes de la pudeur des nus traditionnels.

 

La Joconde ou Mona Lisa est un des portraits les plus emblématiques de l’histoire de la peinture. Peint par Léonard de Vinci au XVIe siècle, il entra dans les collections de la cour de France pour enfin faire partie des œuvres exposées au Musée du Louvre. Le tableau doit sa notoriété au fait qu'il représente un visage de femme et non une scène religieuse ou une nature morte. .L'oeuvre a traversé les siècles. En 2021, le peintre Jean-Pierre Valat a rendu un hommage à la Joconde, à partir de son oeuvre Composition, nu à la Joconde

 

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Composition nu à la Joconde - Jean-Pierre Vallat

 

Méconnue de nos jours, la peintre animalière Rosa Bonheur fut pourtant de son vivant l’une des artistes les plus célèbres du XIXème siècle, dont on s'arrachait les œuvres à peine vernis depuis de lointains continents. Sa reconnaissance en France se concrétisa en 1865 lorsqu’elle devint la première femme peintre à être nommée chevalier de la Légion d’honneur par l’impératrice Eugénie en personne, avec laquelle elle partage certaines valeurs, notamment l’égalité homme-femme, et dont elle resta proche tout au long de sa vie. Très appréciée dans les pays anglophones, son œuvre tomba dans l’oubli en France après sa mort. L’artiste fut perçue comme un modèle à suivre dans la quête d’indépendance des femmes et des artistes 

 

       Rosa Bonheur "Taureau beuglant"  - Sculpture française en bronze ancien

 

Corps déstructurés, visages asymétriques inspirés de masques africains, composition qui fait fi de toutes théories académiques : avec Les Demoiselles d’Avignon, Picasso signe l’un des premiers succès cubistes et s’attaque à un thème qui fait scandale : des prostituées, probablement malades, dans un bordel. Une œuvre délibérément provocante.

 

La peinture est encore une affaire de gènes. Berthe Morisot aurait pu ne pas être peintre. Chez les Morisot ! Cornélie inscrit ses trois filles Yves, Edma et Berthe aux cours de dessin alors que l’École des beaux-arts n’ouvre ses portes aux femmes qu’en 1897.

Berthe Morisot (1841-1895) est la descendante du peintre Fragonard. L'intérêt de Berthe Morisot pour la représentation de la lumière et pour les effets de transparences la rapprochera ensuite des préoccupations de Monet et de Renoir. Modèle privilégiée d’Edouard Manet (dont elle épousera le frère) ? Figure d'exception, Berthe Morisot sut, à la fin du XIXe siècle, concilier une vie de grande bourgeoise, d'épouse et de mère de famille et une carrière de peintre d'avant-garde s'illustrant comme l'une des principales figures de l'impréssionnisme. Les oeuvres de l'artiste sont présentes dans le monde entier. 

 

«Marie Laurencin est une preuve de cette marge exquise où se meuvent les femmes autour du travail des hommes », a écrit Jean Cocteau à l’intention de « la Dame du cubisme ». Son style ? De la douceur, de la féminité, du charme et un éventail de couleurs tendres et raffinées. En 1907, Marie Laurencin réalise sa première exposition et participe au salon des Indépendants. Elle rencontre Picasso qui lui présente Guillaume Apollinaire avec qui elle mène un amour passionné jusqu'en 1912. Elle vit alors en femme libre pour l'époque, entretient de nombreuses relations, et réalise "Groupe d'artistes", "Apollinaire et ses amis", "Les jeunes filles" et de nombreux portraits. Marie Laurencin a fait de son style, qualifié de « nymphisme», un dépassement tant du fauvisme que du cubisme. Aux côtés des grands artistes de l'époque, notamment Georges Braque, Pablo Picasso, André Derain et Henri Matisse, elle est l'une des pionnières du cubisme comme du dadaisme. 

 

Philippe Drevon est un peintre français du voyage, Il a parcouru la Chine, l'Amérique du Sud, l'Afrique. Il a été à la rencontre de l'Autre.  L'artiste part d’un thème qui ne précise que peu de données, certaines couleurs, certains paysages, certains ciels, présence de personnages qui semblent habités d’une destinée inconnue, ou bien en attente de quelque chose qui n’est pas déterminé. Il est le peintre du symbolisme et peint la famme avec respect.  

 

                                                                                                              Philippe Drechon

 

À propos de l'activité créatrice des femmes russes, il est d'usage de souligner le rôle déterminant de Pierre le Grand qui fit sortir les femmes nobles des Térems (lieux de résidence des tsars) et les invita à participer à la vie sociale et culturelle, suivant l'exemple occidental qu'il avait observé lors de ses voyages en Occident, politique fortement intensifiée sous Catherine II, elle-même auteur d'œuvres littéraires et pédagogiques, qui n'hésita pas à développer des idées tout à fait novatrices sur l'éducation des jeunes filles, nobles, mais aussi bourgeoises, dans son fameux institut Smolni. Le courant sentimentaliste, avec son accent mis sur l'émotion et l'expression naturelle, libérée des artifices du slavon liturgique, accorda une place privilégiée aux dames cultivées de l'époque, ce qui permet aux historiens de la culture de parler d'une féminisation de la culture russe au XVIIIe siècle.[3]

 

Dans l'ancienne Russie, les concepts d'instruction, de culture, excluaient l'art au sens occidental du terme ; il n'y avait ni peintre, ni sculpteur homme ni, a fortiori, d'artiste femme selon l'acception moderne. L'activité de ces dernières se manifestait essentiellement dans la broderie de voiles religieux et de vêtures d'apparat. Paradoxalement, les femmes ont eu plus tôt qu’en France la possibilité de s’inscrire dans les écoles d’art, en particulier à l’Académie impériale des Arts de Saint-Pétersbourg.[4]

 

En Colombie, Fernando Botero, peintre et sculpteur a su magnifier la femme. Il exaltait les corps ronds avec tendresse, moquait les puissants avec humour, parodiait les classiques avec brio. Ses œuvres ont fait le tour du monde. Obsédé par le volume, il était surtout connu pour avoir peint et sculpté des femmes rondes et voluptueuses, reconnaissables au premier coup d’œil. Son oeuvre, c'est le volume qui s'empare du sujet. La Ménine de Vélasquez qui prend des joues, la Joconde qui déborde du paysage , la statue précolombienne qui devient charnue comme un bébé européen … En effet, les personnages prennent leur pleine mesure grâce à l'espace en trois dimensions, leurs formes voluptueuses deviennent palpables et offrent ce que l’artiste appelle une « alternative poétique à la réalité ».

 

Femmes africaines

La place de la femme est importante dans la société traditionnelle africaine. Pour apprécier l’art africain, l’œuvre n’est pas le reflet de la personnalité de l’artiste, mais le témoin de la présence de son âme et de celle du personnage reproduit ou du symbole représenté.

Dans l’art contemporain africain, la femme est peu représentée. Les raisons sont-elles dues à l’influence des cultures, de la colonisation ou de la structure des marchés ou encore faut-il rechercher des explications ailleurs, Pendant longtemps, il a été admis que l'art africain était un art anonyme, un art dont les productions, régies par des préoccupations ethniques, religieuses et rituelles dominaient complètement l'individualité créatrice. Il était admis comme une évidence que les objets relevaient tous de préoccupations rituelles ou mystiques.

 

Les œuvres sont conçues comme des variations d’un thème à l’autre. Les figures sont seules ou portent un enfant, exprimant ainsi les rôles d’épouse, de génitrice ou de mère. Elles ne sont pas rigides mais hiératiques, et quelques-unes ne sont pas sans rappeler l’art de l’Égypte ancienne. Ainsi, une maternité kongo peut aisément côtoyer une statuette d’Isis allaitant Horus.

Traduisant la grande diversité des représentations féminines portées par la statuaire, les masques et les insignes de dignité, le rôle de la femme est multiple. Figures debout, agenouillées ou assises, un enfant parfois sur les genoux, porté sur la hanche ou dans le dos. La femme est omniprésente dans la représentation artistique africaine. Les sculpteurs s’intéressent au corps de la femme à partir du moment où ce dernier prend des formes généreuses. Sont magnifiés les seins gonflés et le ventre arrondi, parfois marqué de scarifications comme chez les Yaka et les Suku (République démocratique du Congo). Les femmes africaines peuvent jouer un rôle fondamental dans le domaine politique et spirituel, les deux sphères étant souvent liées. La femme dispose en plus du privilège d’incarner la mémoire et les valeurs de la communauté.

 

En Afrique, les femmes ne fabriquent pas d’objets rituels. En revanche, elles font des poteries et des vanneries et certaines de ces poteries, peuvent servir à des rites funéraires. De plus, si elles ne peuvent assister à certains rites leur présence n’est pas interdite. Par exemple, la société Mendé, en Sierra Leone (en Afrique de l’Ouest), permet aux femmes de porter des masques rituels. Généralement, les aspects par lesquels on représente la femme dans l’art africain sont liés à la fécondité et à la maternité. Différents motifs les mettent en scène : mère et enfant(s), femme enceinte, jeune fille aux seins dressés, femme aux seins étirés … Les scarifications abdominales, abondantes dans la statuaire, sont davantage développés sur des ventres féminins et auréolent fréquemment le nombril. [5] La femme féconde, qui permet d’apporter de la richesse aux groupes par le biais de ses enfants, est aussi valorisée chez les peuples Kongo et Yombe (Congo) et chez les Senufo (Côte d’Ivoire). Dans cette tribu, la femme dispose en plus du privilège d’incarner la mémoire et les valeurs de la communauté.

 

En général, les corps nubiles retiennent peu l’attention des sculpteurs, qui préfèrent assurément magnifier les formes d’une figure aux courbes exceptionnelles et harmonieuses ou sublimer les seins et le ventre bombé d’une femme enceinte, sur lequel se développent parfois des frises de scarifications. La maternité est le thème majeur des représentations féminines dans les arts africains. Féconde et nourricière, « la femme avec enfant » est une figure idéale, sa progéniture constitue une richesse pour le groupe. Elle est pleinement magnifiée chez les peuples. Chez les Kongos (en Afrique centrale), la représentation de la mère et de l’enfant dans la statuaire diffère de celle de l’Occident. Si la figure maternelle est représentée tenant son bébé dans ses bras, jamais elle ne porte son regard sur lui, mais plutôt droit devant elle. Dans d’autres circonstances, La femme porte un enfant dans le dos, l'homme un carquois, qualité de fécondité pour la femme et de guerrier pour l'homme.

 

Plusieurs sculptures féminines, les corps figurés par la statuaire ancienne peuvent être dénudés, mais jamais nus. Ils illustrent la plénitude des formes : harmonie des volumes pleins et arrondis, expression de force contenue et d’intériorité, coiffure raffinée, yeux mi-clos entrouverts sur un autre monde, celui des génies et des esprits ancestraux. Les statuettes liées à différents cultes expriment la présence féminine qui intercède, discerne, guérit. Chez les Dan, un masque de divertissement féminin qui évolue sur des échasses peut être considéré comme bienveillant. Une statuette féminine déblé de la société masculine du Poro est souvent utilisé par les jeunes initiés qui martèlent le sol à l’aide du socle de la statue servant de pilon. Ils purifient ainsi la terre lors des rites agraires et la rendent fertile. La statue sera également présente lors des funérailles et des rites d’initiation.

 

Dans de nombreuses sociétés initiatiques, notamment chez les Bambara, un couple de statues des deux sexes, est sorti chaque année lors d’un rite public destiné à marquer le renouvellement des saisons, à favoriser la fertilité des femmes et l’abondance des récoltes. L’effigie féminine représente une femme assise sur un siège, un enfant au sein ou dans les bras ou bien debout, elle porte une poterie sur la tête.

 

Plus de 20 000 ans avant notre ère les figures pouvaient s’écarter du réalisme même le plus relatif pour prendre la forme de signes aussi conventionnels que ceux d’une écriture. Lorsqu’il s’agit d’objets cultuels, ceux-ci consistent à favoriser la relation des instances surnaturelles. Si la sculpture figure des êtres humains, masculins ou féminins, elle en donne une image certes idéalisée, parce que ce sont des ancêtres, mais qui puise son inspiration dans une réalité connue de tous, celle de la vie même.

 

Il reste que les femmes ont conquis dans l’art africain une place intéressante. A travers la peinture occidentale, d’Embrosia Gentilischi et de Vigée Lebrun à Marie Laurencin ou Sonia Delaunay, la diversité est immense. Les Africaines peu nombreuses encore atteindront-elles cette diversité et créeront-elles un art différent de celui des hommes ?

L’art témoigne de la place de la femme dans l’histoire. Dans l’ancien Royaume de Dahomey, aujourd’hui le Bénin, une armée de guerrières défie tous les clichés sur les femmes. Plus fortes et plus vaillantes que les hommes, elles ne reculent devant rien. Ni l’ennemi, ni la mort. Elles se nomment les Mino, les colons leur donnent le nom d’Amazones. Se considérant plus fortes et plus courageuses que les hommes, elles prônent un renversement des valeurs et de la division du travail. :

De fait, la beauté dans l’art africain n’est pas le but recherché principalement ; ce qui n’enlève rien à la beauté des œuvres d’art proprement dites. Que ce soit la sculpture, la peinture, l’artisanat, etc., l’art en Afrique a une mission d’abord sociale et spirituelle. Il sert de trait d’union entre les hommes du monde visible et les âmes du monde invisible. En d’autres termes, il permet de relier le monde des vivants à celui des morts. Dans l’ancien royaume de Bénin (Nigeria), il était d’usage de faire couler en bronze des têtes commémoratives pour les femmes comptant parmi les hauts dignitaires de la cour, les reines mères. Ce titre (iyoba) fut instauré au XVIe siècle par le roi Esigie pour rendre hommage à sa mère qui fut toute-puissante. De même, il existait, vraisemblablement avant le XVIIe siècle, au sein des royaumes akan (Côte d’Ivoire / Ghana) des têtes en terre cuite façonnées par des potières ; ces œuvres évoquent des visages d’ancêtres féminins qui auraient donné leur nom aux lignages.

 

La maturité et la ménopause, qui voient disparaître l’impureté du corps, permettent à la femme de s’inscrire enfin dans la sphère de l’autorité, des décisions réservées au monde masculin. Elle peut accéder alors à la parole, au pouvoir et à ses attributs. Son statut d’ancêtre à part entière la rend parfois présente dans l’art funéraire le plus fonctionnel; un cercueil anthropomorphe est ainsi sculpté en son honneur chez les Ngata-Ntomba (République démocratique du Congo).

Ouganda, pour interroger la place des femmes dans la société et évoquer le tabou de la sexualité, elle n’hésite pas à créer des sexes féminins en argile alors qu’il est interdit de représenter les parties intimes dans la culture lugbara de son pays.

Femme libre et émancipée, Reinata Sadimba née au Mozambique en 1945 s’affirme dans les années 1980 en tant que sculptrice, brisant ainsi la tradition selon laquelle les femmes makondées n’ont pas le droit de produire des représentations figuratives. Inspirée par le corps féminin, la nature et les animaux, elle crée des poteries anthropomorphes en céramique et graphite, hybridant références culturelles et originalité formelle. L’artiste interroge. Que nous disent la proximité des corps, la position et le regard de chacune de ces têtes, la soudure de leurs membres inférieurs ?

La quasi-totalité des masques, sculptures, cannes, balais, et autres qui se trouvaient dans les chefferies africaines qui se retrouvent aujourd’hui aussi bien dans les collections privées comme dans les musées occidentaux.[6]

Dans le domaine de la peinture, les mêmes préoccupations demeurent. Anta Germaine s’est illustrée par les portraits de femmes en en montrant toute la splendeur et l’élégance ; elle remet ainsi en cause une situation où jusque-là seuls les hommes étaient capables de trouver en la femme leur muse et un sujet esthétique. La femme n’a pas seulement à revendiquer sa place ou à exprimer sa souffrance, elle doit aussi s’évertuer à valoriser ce qu’elle a de plus beau en elle.

Au fil du temps et de l’évolution des manières de penser, les femmes se revendiquent enfin comme artistes et se mettent autant en avant que les hommes. La frontière du genre s’amenuise peu à peu. Les femmes prennent la parole, s’expriment, nous interpellent. Car oui, elles sont de plus en plus entendues, mais dans un monde où certaines discriminations existent encore. C’est pourquoi beaucoup d’artistes femmes luttent pour une ouverture d’esprit collective, pour moins de violence, encore plus d’égalité.

Dans le domaine des arts plastiques, l’identité féminine semble plus marquée et des artistes peintres, parfois de renommée internationale se détachent. C’est le cas d’une plasticienne sénégalaise comme Anta Germaine Gaye, qui a participé à différents salons à travers le monde. Autre figure tutélaire féminine dans l’art contemporain, Seni Awa Camara. Cette femme est exposée partout dans le monde, depuis que son travail de sculptrice a été repéré par des commissaires du Centre Pompidou à Paris, qui ont sillonné l’Afrique à la recherche d’artistes pour leur exposition "Les magiciens de la terre" (1989). Issue d’une famille de potiers, Seni Awa Camara dit avoir reçu un don lors d’une balade en forêt. Elle nourrit un mystère autour de ses inspirations, qu’elle dit recevoir en rêve la nuit.

On se souvient des difficultés rencontrées par les femmes. En France, les écoles d’art privées, comme l’académie Julian qui accueille les femmes à partir de 1873, dans des ateliers non mixtes, demande aux étudiantes un tarif double de celui des hommes ! Le maître pouvait parfois s’approprier le travail de l’élève… Autant dire qu’au début du XXe siècle, le parcours des femmes artistes est semé d’embûches. Longtemps, elles ont travaillé dans l’anonymat avec parfois des hommes qui reprenaient leurs œuvres.

À l’Exposition universelle de 1937, une exposition intitulée « Femmes artistes d’Europe » accorde un début de légitimité aux plasticiennes de l’époque.

 

L’art féminin en Asie

L'histoire de l'art asiatique comprend un vaste éventail d'arts visuels issus de diverses cultures, régions et religions du continent asiatique. À bien des égards, l'histoire de l'art en Asie est parallèle au développement de l'art occidental.

Les histoires de l'art de l'Asie et de l'Europe sont étroitement liées, l'art asiatique influençant grandement l'art européen, et vice versa ; les cultures se sont mélangées par des méthodes telles que la transmission de l’art par la route de la soie, les échanges culturels de l'ère des grandes découvertes et de la colonisation, ainsi que par l'internet et la mondialisation.

Si des artistes femmes ont existé dans l’histoire chinoise, elles restent marginales, peu connues et longtemps cantonnées à une esthétique féminine. Avant le XXe siècle, presque aucune des artistes répertoriées par Marsha Weidner ne réalise de portraits ; seules quelques-unes posent la question de l’identité à travers l’exécution de paysages, un genre traditionnellement masculin. Dès le début du XXe siècle, un féminisme plus affirmé se répand, entre autres par le truchement des revues. Les travaux de la peintre Wu Xingfen, de son vrai nom Wu Shujuan (1853-1930, semblent marquer le début d’une certaine reconnaissance des artistes femmes, notamment ses couvertures de la revue Funü zazh [Journal des femmes].

Alors que l'art contemporain chinois progresse dans le monde entier, quelle est la place des femmes artistes en Chine? Si l’on se réfère à la Hurun Art List des 100 premiers artistes chinois, on constate que les femmes ne représentaient que 10% de ce classement pendant la dernière décennie. En 2017, quatre artistes femmes seulement faisaient partie des 100 premiers artistes chinois : Chen Peiqiu, 95 ans, Xu Lele, 62 ans, Lou Zhenggang, 50 ans, Yan Ping, 61 ans.

Sensuelle, comique, guerrière ou désabusée, l’image de la femme que donnent les artistes chinoises est sujette à d’importants changements au XXe siècle et aux aléas politiques, tant le féminisme, en Chine, se mêle à la modernité.

En Corée, compte tenu de la société confucéenne-chrétienne plus traditionnelle - «l'industrie artistique a longtemps été dominée par les femmes - de nombreux conservateurs, marchands et galeristes sont des femmes.

 

Un combat pour une meilleure visibilité

À New York en 1942, Peggy Guggenheim organise une exposition de trente et une femmes, aussitôt traitées de « névrosées surréalistes ».

"L'art est très important pour la femme. Elle a une place importante. Il constitue non seulement un art mais permet de repenser la place des femmes dans le monde. Il s’agit sans aucun doute d’un combat pour la visibilité et la reconnaissance des femmes artistes.

L’art stimule des émotions intimes et profondes mais aussi que leur pratique développe les capacités cérébrales des enfants.

Au delà, il satisfait d’abord un besoin esthétique en procurant une satisfaction désintéressée, le contraire des besoins primaires. Le sentiment de beauté est subjectif et lié au plaisir. Il est différent d’une culture à l’autre comme d’une personne à l’autre.

Les femmes artistes ont tellement à apporter, au niveau de la tradition et de la modernité. Elles concilient les contraires et contribuent à donner un véritable sens à la diversité culturelle. Il apparaît que la présence importante et l’investissement des femmes au sein des associations dédiées à l’art contemporain n’entraînent pas leur progression vers les sphères les plus élevées ou les plus médiatisées du monde des collectionneurs d’art contemporain.

 

Dans l’art « street art », la femme fait de sa féminité un sujet. À l’image de la plus connue d’entre elles, Mic Tic. La femme est omniprésente dans ses œuvres, une femme fatale, séduisante, mais libre, qui s’exprime et ne craint pas d’évoquer une sexualité joyeuse, comme l’affirme une de ses phrases célèbres, « Je joue oui ».

La femme peut symboliser la femme d’extérieur, l’inverse de la femme d’intérieur. Elle n’est pas une femme objet mais une femme sujet. Aujourd’hui, de nombreuses artistes urbaines mettent leur talent au service de leurs convictions. C’est le cas de la françaises Kashink, une trentenaire atypique qui a porté la moustache et peint plus de 300 « gâteaux pour tous » en faveur du mariage homosexuel, en France.

C’est à partir des années 1960-1970 que se développe aux États-Unis un art qui se présente explicitement comme féministe et qui dénonce l’invisibilisation des artistes femmes, les stéréotypes, les violences sexistes et sexuelles à l’égard du genre féminin, et surtout, l’oppression du patriarcat. Des artistes telles que Judy Chicago ou Miriam Shapiro deviennent les figures de proue d’œuvres qui prônent la libération sexuelle et l’établissement des droits des femmes, mais aussi l’affranchissement de la sexualité et du corps féminin.

L’art est aussi créateur de valeurs dans lesquelles, selon ses goûts et sa culture on se reconnaît et on va à la rencontre de l’autre. Il peut s’agir de valeurs esthétiques ou de valeurs de sens que l’on partage et qui créent un vécu commun.

 

Le marché de l’art

Depuis une dizaine d’années, la visibilité des artistes femmes s’accroît considérablement à mesure que les institutions, curateurs et critiques embrassent une mise en avant plus représentative de leur travail, souvent dévalué au cours des siècles. Les maisons de ventes aux enchères comme Christie’s, Sotheby’s et Phillips ont déjà pris le tournant et notent une hausse significative de la demande d’œuvres réalisées par des femmes. Sans compter l’intérêt monétaire pour le marché de l’art et le collectionneur d’acquérir l’œuvre d’une artiste femme, souvent plus abordable. Beaucoup d’œuvres féminines voient leur cote monter rapidement, ce qui en fait potentiellement un placement aussi intéressant qu’avantageux.

En novembre 2018, l’huile sur toile Propped (1992) du peintre Jenny Saville est adjugée par Sotheby’s pour la somme de 12,4 millions de dollars (10,9 millions d’euros), propulsant ainsi l’artiste au rang de plasticienne vivante la plus chère du monde.

La peintre anglaise Cecily Brown est l’une des figures actives du renouveau de la peinture figurative de la fin des années 1990. Son sujet de prédilection réside dans l’érotisme de chairs vivantes et colorées transformant, par une oscillation constante entre abstraction et figuration, la peinture en désir, vie et mort. Elle bat son record en 2018 chez Sotheby’s avec la vente de Suddenly Last Summer (1999) adjugée pour 6,8 millions de dollars (6,3 millions d’euros). Achetée en mai 2010 dans la même maison de ventes aux enchères à Gagosian à Londres pour 1 million de dollars, la valeur de l’œuvre a été multipliée par 6 en 8 ans.

Entre 2000 et 2017, trois chercheurs américain, australien et néerlandais ont passé au peigne fin les collections d'art des plus grands musées du monde, ainsi que 2,6 millions d'œuvres vendues sous le marteau de 1.800 maisons de ventes aux enchères. Le constat est édifiant : les artistes féminines représentent entre 3 et 5% des grandes collections en Europe comme aux États-Unis. Dans le cadre des ventes atteignant un montant supérieur au million de dollars, les hommes vendent 18% plus d'œuvres. Dans les galeries et enchères, les ventes d'œuvres exécutées par des femmes atteignent environ 5% en moyenne, soit 9,3% d'artistes contemporaines et 2,9% dans la catégorie des «maîtres anciens». Seule consolation, ces dernières se vendent 4,4% plus cher que leurs comparses masculins.[7]

L'histoire de l'art a-t-il oublié les femmes ? Ce silence a de quoi surprendre. Les arts dits « plastiques » n'ont jamais constitué un domaine traditionnellement masculin. L'ensemble des sources historiques s'accorde à montrer qu'il y eut, à des époques et dans des pays différents, un nombre non négligeable de femmes qui obtinrent une visibilité en tant qu'artistes, qui vécurent de leur art, ou qui furent des têtes de file dans leur secteur d'activité plastique.

L’art est la mémoire du temps, cimente le mieux les idées et les peuples et constitue un véritable instrument de dialogue. Pourquoi aujourd’hui faut-il encore faire des expositions ou des publications entièrement dédiées aux femmes ? Ne sont-elles pas nombreuses dans le monde de l’art ? Ne sont-elles pas suffisamment présentes ? N’ont-elles pas les mêmes droits que les artistes hommes ?

Quand les femmes et les hommes commenceront à communiquer en tant que partenaires, après avoir changé leur optique culturelle, ils modifieront progressivement leur manière de faire l’expérience et d’admirer les œuvres d’art. L’art ne doit plus être l’histoire des hommes mais l’histoire de l’Homme où la femme est source de vie. Il ne doit pas tomber dans la facilité de l’intelligence artificielle mais permettre à des créateurs de continuer à nous enchanter de leur création artistique.

 


[1] Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), éd. et trad. par E. Renauld, Paris, Les Belles Lettres, 1926-1928,

[2] Verset 1 du chapître 27 de la Génèse

[3] Evelyne Enderlin. Les femmes créatrices en Russie (de la fin du dix-neuvième siècle au siècle d’Argent)

[4] Nicolas Laurent. Être femme et sculpteur en Russie (1870-1917)

[5] Odile Journet. La quête de l'enfant. Journal des Africanistes. 1981

[6] Alfred Alain Moutapam - La beauté en Afrique - Pluton-Magazine/2019/Paris16eme

[7] Elodie Palasse-Leroux En 2021, les femmes ne font toujours pas le marché de l'art. Atelier d'Ardoise. 1 juillet 2021

 

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